L’intégration des femmes dans les métiers à prédominance masculine se fera sur la base d’enjeux économiques et sociétaux inéluctables. Les contraintes à venir vont nécessiter les efforts de toutes et tous, mais comme tout changement, ils apporteront aussi leurs lots d’opportunités pour les entreprises et la société dans son ensemble.
Des enjeux qui freinent la société et l’économie québécoise
Deux grands enjeux touchent présentement les entreprises, la société et l’économie québécoise. D’une part, la pénurie de main d’œuvre et d’autre part, la sous-représentation des femmes dans certains métiers et secteurs d’activités. En effet, la main d’œuvre féminine constitue dès maintenant un manque à gagner pour les entreprises et pour la société dans son ensemble et tend à devenir une solution incontournable pour assurer le dynamisme économique et social de la société québécoise de demain.
1- La pénurie de main d’œuvre
État de la pénurie au Québec
Au Québec, ces dernières années, le taux de chômage a connu une baisse record, passant même pour la première fois en dessous des taux que l’on retrouve en zone anglophone. À l’heure actuelle – tous secteurs confondus – il y a plus de 120 000 postes à combler. Certaines industries sont plus touchées que d’autres et le portrait n’est pas uniforme, mais avec le faible bassin de main d’œuvre disponible et les départs à la retraite d’une importante part de la population active dans les cinq années à venir, la pénurie ne peut que s’accentuer.
Le taux de postes vacants est encore plus révélateur puisqu’il tient compte du nombre total d’employés dans les territoires. Selon Statistiques Canada, sept des dix régions économiques avec le taux de croissance de postes vacants les plus élevés au pays sont au Québec. Parmi les secteurs les plus touchés on retrouve : mines, pétrole et gaz, transport et entreposage, fabrication et services professionnels. Les autres secteurs proches de la moyenne (tous secteurs confondus) comme la construction, l’agriculture et la foresterie affichent un taux de postes vacants supérieur à 3 %.
La ville de Montréal se situe pour le troisième trimestre 2018 à un taux de postes vacants de 3,2 % et représente le bassin économique où nous trouvons le plus d’emplois à combler. Les perspectives de croissance qu’offre ce territoire se trouvent donc potentiellement entravées.
Les secteurs des métiers majoritairement masculins sont en rareté de main d’œuvre et vont connaître aussi les mêmes limites énoncées plus haut. Les secteurs des transports et machineries, des sciences naturelles et appliquées, de la construction et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, pour ne citer qu’eux, feront face rapidement à des difficultés importantes de recrutement. De plus, il est à noter que ces secteurs, comme tous les autres, sont interdépendants et nécessitent le plein fonctionnement des uns pour permettre celui des autres.
La mise en place d’efforts de recrutement pour une plus grande mixité dans ces secteurs est une condition indispensable au maintien de leurs capacités à répondre à la demande, à poursuivre leur croissance, mais aussi à créer l’espace nécessaire pour penser l’innovation.
Les effets et les risques de la pénurie de main d’oeuvre
La pénurie de main-d’œuvre, qui empêche de concilier les objectifs financiers, les délais et les conditions de travail, limite aussi la recherche et le développement. Les entreprises travaillent dans l’urgence et ne peuvent construire une vision à long terme intégrant les innovations technologiques et organisationnelles, nécessaires à leur expansion.
Le manque d’effectifs met de la pression sur les délais et les perspectives de croissance et entraîne également une pression sur les normes de sécurité favorisant la prise de risque et les accidents.
Les équipes réduites face à des carnets de commandes pleins, le roulement du personnel à tous les étages de la production, l’émergence de nouveaux marchés ultra-concurrentiels jouent très fortement sur la santé des salariés du Québec. Une recherche menée par l’Université de Montréal dresse un constat accablant :
« On estime que les coûts directs et indirects liés à la détresse psychologique, l’anxiété, l’épuisement professionnel et la dépression représentent annuellement 20 % de la masse salariale d’une organisation. »
– Alain Marchand, docteur en sociologie et professeur à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal (cité dans BRASSARD, 2010)
2 – La sous-représentation des femmes
L’égalité hommes-femmes dans la société
Nous avons parfois tendance à oublier que les femmes représentent la moitié de la population. L’organisation de l’espace, de la répartition des rôles, du travail et des libertés d’une manière générale, ne répond toujours pas à cette réalité. En dépit des nombreuses et récentes évolutions, force est de constater que l’égalité est encore loin d’être acquise.
Si de nombreux efforts ont été mis en place dans la société ces 10 dernières années, il n’en demeure pas moins que les chiffres sont éloquents et que nous avons encore, toutes et tous, beaucoup de travail à fournir pour que la société québécoise soit à la hauteur des valeurs qu’elle revendique.
Un impact sur toute la société
Ces inégalités viennent également impacter la sphère familiale, que les femmes soient mères ou pas, dans la capacité qu’elles ont, d’une part à se soutenir elles-mêmes et d’autre part à soutenir les membres de leurs familles. Sans oublier que la précarité économique est un des principaux freins qui empêchent les femmes de sortir de situations de violence familiale.
Rappelons qu’en 2016, 75,1 % des chefs de famille monoparentale étaient des femmes. Ces femmes représentent 22,1 % du total des familles. La précarité se répercute alors dans la capacité à fournir à ses enfants les conditions essentielles à la réussite, reproduisant – voir augmentant – ainsi les inégalités.
« 1 famille sur 5 est une famille monoparentale dirigée par une femme. »
– Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2018
De même, au Québec, 58 % des proches aidants sont des femmes. L’aide ponctuelle reçue des instances gouvernementales ne saurait pallier au besoin du moment ni au manque à gagner qui accompagne cet engagement nécessaire.
L’enjeu principal est de poursuivre la construction d’une société égalitaire pour offrir aux hommes et aux femmes les mêmes perspectives d’emploi, de développement de carrière et de salaires.
L’égalité hommes-femmes dans le monde du travail
« Les femmes sont surreprésentées dans les professions faiblement rémunérées et sous représentées dans celles qui sont hautement rémunérées. »
– Statistique Canada, 2017
La non-mixité et toutes les discriminations qui en découlent participent à la précarisation des femmes, et ce, à toutes les étapes de leurs vies.
N’avoir accès qu’à des emplois précaires et être cantonnée à des rôles considérés comme subalternes, le plus souvent à temps partiel, génère des inégalités qui ont des répercussions sur toutes les étapes de la vie d’une femme. L’accès à des revenus décents est une condition pour concilier travail et famille et assurer son développement de carrière. Les périodes de chômage, comme les congés parentaux, sur des salaires bas, participent à renforcer la précarisation et limitent l’investissement dans des dynamiques professionnelles nouvelles.
Ces circonstances se répercutent aussi sur la fin de carrière et bien évidemment sur la qualité de vie une fois en retraite. Nombreuses sont les femmes contraintes de recommencer à travailler après l’âge de la retraite, dans des emplois faiblement rémunérés, pour maintenir un équilibre minimal.
« Dans une même profession, pour chaque 1 $ gagné par les hommes, les femmes touchent 0,87 $. »
– Statistique Canada, 2017
L’égalité hommes-femmes dans les métiers majoritairement masculins
Les enjeux d’une plus grande mixité dans les emplois en général et dans les métiers majoritairement masculins en particulier, sont multiples et interconnectés.
Les types d’emplois occupés par les femmes correspondent souvent aux rôles traditionnels qu’on leur attribue, tels que les tâches ménagères et les prestations de soins. Cette identification des femmes au travail domestique est le préjugé le plus tenace quant à leur capacité à exercer certains emplois traditionnellement masculins. De plus, ce préjugé participe à la sous-valorisation des emplois dits typiquement féminins.
En 2015, 56 % des femmes exerçaient des professions associées à cinq domaines particuliers, soit la prestation de soins, les emplois de bureau, les services de traiteur, les emplois de caissiers et le nettoyage.
Le niveau d’éducation des femmes a fortement augmenté dans les 20 dernières années, dépassant dans de nombreux domaines celui des hommes.
Il demeure que dans certains secteurs, bien qu’investis par de plus en plus de femmes, les hommes demeurent très largement majoritaires à choisir les études y menant.
Cependant, pour celles déjà compétentes dans les emplois majoritairement masculins (EMM), des études montrent que de nombreuses barrières à leur évolution hiérarchique et à leur épanouissement existent.
Ces réalités devraient nous interroger sur le regard porté sur les femmes dans la société québécoise et à réfléchir collectivement aux différents leviers qui permettront de rétablir un équilibre profitable à toutes et tous.
Les facteurs limitants la mixité
De nombreuses études se sont penchées pour comprendre quels sont les facteurs limitants qui empêchent la construction d’une société plus mixte, dans laquelle les femmes comme les hommes feraient des choix de carrière plus diversifiés. On retrouve notamment :
- Les préjugés et les stéréotypes de genre.
- La méconnaissance des métiers associés traditionnellement au sexe opposé.
- Le manque de modèles féminins dans les métiers majoritairement masculins.
- Le manque d’ouverture du marché du travail.
- Les responsabilités familiales qui reposent encore très majoritairement sur les femmes.
- Les modalités de la conciliation famille-travail qui restent déséquilibrées.
- Le manque d’encouragement des proches pour le choix d’un métier majoritairement masculin.
- L’anticipation tant par les femmes comme pour les jeunes femmes en orientation, des difficultés qu’elles vont rencontrer, les poussant à faire d’autres choix.
Connectées entre elles, il apparaît donc que les raisons sont avant tout systémiques, c’est-à-dire relevant directement de l’organisation de la société. Cependant, en tant qu’employeur·se, travailleur·se, proche, citoyen·ne, nous pouvons tous participer à faire de ces limites des leviers de transformation.
Opportunités : Une place pour toutes et tous dans le Québec de demain
De manière générale, et en particulier dans les métiers à prédominance masculine, la plus grande place qui sera accordée aux femmes offrira à toutes et tous, des bénéfices sociétaux et apportera des opportunités qui permettront de relever les défis économiques de demain.
Encourager la société dans son ensemble à lutter contre les stéréotypes de genre
La faible représentation des femmes dans certains secteurs constitue un manque à gagner pour les entreprises et pour la société dans son ensemble. Promouvoir la mixité dans les lieux de travail c’est, en effet, une façon d’encourager un profond changement de notre société.
La rencontre, la collaboration et l’échange approfondi entre les différents acteurs auront des conséquences positives sur toutes les sphères de la vie publique et permettront de penser de manière conjointe et équilibrée les enjeux professionnels et sociétaux de demain, pour nous et les suivant·e·s.
Encourager l’atteinte de la mixité, c’est valoriser les talents et les capacités de la moitié de la population
Créer un cercle vertueux
Assurer une meilleure rentabilité
Selon une étude produite par McKinsey, les entreprises les plus diversifiées sont 21 % plus susceptibles de connaître une rentabilité supérieure à la moyenne avec notamment de nouvelles perspectives de marchés générés par l’innovation que produit la collaboration hommes-femmes. Cet accroissement des gains découle de plusieurs réalités observées formant un cercle vertueux.
Privilégier différentes approches
La collaboration hommes-femmes au sein d’une même équipe signifie que tout le monde bénéficie des différents points de vue et méthodes qui découlent d’une multiplicité d’expériences de vie.
Ces différentes perspectives stimulent la créativité et l’innovation et aident les organisations à repérer et à saisir de nouvelles opportunités.
Refléter ses client·e·s, retenir les talents
Les clients viennent de tous les horizons. Plus la composition d’une organisation représente ses client·e·s, plus elle a de chances de communiquer efficacement avec eux et elles.
Refléter ses client·e·s dans ses communications et surtout ses actions est le meilleur moyen de créer un cercle vertueux.
Avoir un milieu de travail inclusif est un puissant outil de recrutement. Selon une étude de PwC, les femmes de la génération Y recherchent des employeurs avec un solide bilan en matière de diversité, 85 % d’entre elles déclarant que c’est important pour elles.
Collaboration, communication et gestion de conflits
Les chercheurs ont observé que les femmes ont de meilleures compétences en lecture d’indices non verbaux et ont des compétences relationnelles qui facilitent la communication, en particulier lors de la gestion de conflits.
La présence de femmes aide à améliorer les processus d’équipe et à stimuler la collaboration de groupe. Ils concluent également que les groupes avec plus de femmes étaient plus propices à l’organisation d’échanges où l’écoute est mise de l’avant et où et l’avis de chacun peut être exprimé afin de tirer le meilleur parti des connaissances, compétences et idées proposées.
Alors que le discours politique et médiatique semble trop souvent considérer la parité comme acquise, les recherches montrent que nous avons encore de nombreux défis à relever susceptibles d’apporter dans toutes les sphères de la société un plus grand dynamisme et une plus grande harmonie pour tous.
Références
BRASSARD, Pauline. Effets dévastateurs de la pénurie de main-d’oeuvre : l’aveuglement est-il en cause?, Octobre 2010.
Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail, Jennifer Beeman et Ruth Rose. La mixité au travail, un défi d’égalité, Rapport de la stratégie nationale concertée : pour en finir avec la division sexuelle du travail, 2011, 111 pages.
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Postes à pourvoir : Les postes vacants dans le secteur privé au T3 2019, Novembre 2019.
LALANCETTE, Jessica, Valéry SAUCIER et Véronique FOURNIER-LEPAGE. Rapport de recherche : L’insertion socioprofessionnelle des femmes dans les métiers traditionnellement masculins, 2012, 153 pages.
McKinsey & Company (Vivian HUNT, Lareina YEE, Sara PRINCEet Sundiatu DIXON-FYLE). Report : Delivering through diversity, Janvier 2018, 40 pages. [McKinsey & Company est une société de conseil auprès des directions générales. En 2018, McKinsey a été classé à la première position du classement Vault des meilleurs cabinets de conseil en stratégie.]
Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Statistiques de santé et de bien être selon le sexe – Tout le Québec, décembre 2018.
PwC Canada. Management et organisation: Women in work 2018 – La perspective canadienne. [PwC est un réseau international d’entreprises spécialisées dans des missions d’audit, d’expertise comptable et de conseil privilégiant des approches sectorielles à destination des entreprises.]
Services Québec. Choisir un métier non traditionnel, juillet 2018.
Statistique Canada. Enquête sur la population active, octobre 2019, 2019, 35 pages.
Statistique Canada. Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe – Les femmes et le travail rémunéré, mars 2017, 43 pages.
Y des femmes de Montréal. Rapport d’évaluation des besoins: Promouvoir la diversification des choix scolaires et professionnels des filles au secondaire, 2016, 93 pages.